Bonjour Madame Sakombi. Parlez-nous un peu de vous?
Je suis Natou Pedro Sakombi, d’origine nigériano-congolaise, née à Kinshasa. J’ai grandi à Bruxelles, en Belgique où j’ai effectué toutes mes études. Je suis détentrice d’une licence en Lettres Modernes et ma grande passion c’est l’histoire de l’Afrique. J’ai fondé en 2010 la structure Reines & Héroïnes d’Afrique pour revaloriser l’image de la femme africaine par le biais de l’histoire. Actuellement je suis maman, épouse, auteure, chercheuse indépendante en histoire, conférencière et chroniqueuse radio. Je dirige également le webzine Reines & Héroïnes d’Afrique qui paraît annuellement en version papier.
D’où vous est venu votre passion pour l’Afrique notamment l’histoire et la culture africaine ?
Depuis très jeune, j’ai manifesté une fascination pour tout ce qui avait attrait au passé. Les ouvrages d’histoire m’ont attirée depuis l’âge de sept ans et je les préférais aux livres de contes. Adolescente, j’optais plutôt pour visiter les musées, parfois seule, plutôt qu’aller au cinéma. A mes dix-huit ans, j’ai directement opté pour la faculté d’Histoire mais mon père me dira « l’histoire ne te nourrira pas! ». Alors j’ai choisi, par dépit, la faculté de Philosophie et Lettres parce qu’elle offrait beaucoup d’heures d’histoire. En 2006, lorsque j’ai découvert la véritable histoire de l’Afrique, et notamment le rôle de la femme africaine dans l’histoire, ma vision du monde et de moi-même a complètement changée, et je n’ai plus cessé de me documenter sur le sujet et de partager le fruit de mes recherches autour de moi.
Quelle est, selon vous, l’importance de l’histoire dans le développement de l’Afrique ?
Elle est primordiale. La renaissance de l’Afrique ne pourra se faire sans l’Histoire. Si les Africains ne se tournent pas davantage sur leur « véritable histoire », s’ils ne tirent pas des leçons de leur passé, ils répéteront inévitablement les mêmes erreurs. L’Afrique doit se battre pour que les programmes scolaires soient adaptés au mieux aux enfants, dès le plus bas âge, afin que les petits Africains grandissent en ayant conscience de leur véritable identité et de l’importance de leurs ancêtres dans l’histoire de l’humanité. C’est cela qui va forger leur personnalité, leur amour-propre et leur permettre d’être des acteurs efficaces pour l’Afrique de demain.
« Reines et Héroïnes d’Afrique »… d’où vous est venu l’idée d’écrire sur ce sujet ?
Je n’ai pas écrit « Reines et Héroïnes d’Afrique » (rires). Peut-être faites-vous référence à la structure « Reines et Héroïnes d’Afrique » que j’ai fondé en 2010. Lorsque j’ai découvert les grandes figures féminines qui ont marqué l’histoire de l’Afrique, la fierté qui m’avait alors animée m’a poussé à partager les récits sur ces femmes d’exception autour de moi, afin de redonner de la fierté aux femmes africaines, qui bien souvent ignorent leur rôle dans l’histoire des hommes. Il s’agissait également de revaloriser l’image de plus en plus dégradante véhiculée sur la femme africaine, notamment par les médias. Et en effet, s’il y a un ouvrage de référence qui m’a beaucoup inspirée, c’est bien « Reines d’Afrique » de l’historienne Sylvia Serbin, que je recommande vivement à vos lecteurs.
Quelle est l’héroïne qui vous a le plus inspirée au cours de votre vie/carrière ? Pourquoi ?
Elles m’ont en réalité toutes inspirée. Et comme je le dis toujours, elles sont chacune une source d’inspiration particulière à des moments clé de mon parcours. En ce moment, par exemple, c’est la voix de Yaa Asantewa, reine-mère d’Asante, qui fut une figure de proue dans la fameuse « guerre du tabouret d’or » que le peuple d’Ashanti mena contre les colons anglais, qui fait écho dans ma tête, pour de multiples raisons!
Nous sommes dans une période qui appelle à l’égalité hommes-femmes, pensez-vous que cela est effectif en Afrique ?
La manière dont les Africains ont cédé aux concepts exogènes à leur culture ancestrale est la conséquence de ce besoin de parité homme-femme qui existe actuellement pour la femme africaine. Or, au temps de nos aïeules, les femmes africaines n’avaient jamais eu à mendier une quelconque place pour pouvoir exister aux côtés des hommes. C’est la notion de complémentarité entre l’homme et la femme qui régissait les sociétés africaines, en ce sens que l’homme connaissait parfaitement l’importance du rôle familial, sociétal, royal, national, voire spirituel de la femme et vice-versa. Aujourd’hui, l’Afrique ayant reconstruit ses sociétés modernes en se calquant au modèle sociétal occidental, qui se veut surtout paternaliste, est confrontée à des réalités créant des frustrations chez les femmes africaines et obligeant ses dernières à embrasser des mouvements de sororité certes louables, mais tellement contraires et paradoxaux aux concepts originels africains.
Que pensez-vous de « l’occidentalisation » de l’Afrique ? Et quel est son impact sur nos mœurs ?
Un peuple qui embrasse la culture de l’autre tout en rejetant la sienne ne peut être gagnant. L’acculturation de l’Africain est la cause principale de ses malheurs. Sinon, comment sommes-nous passés de la civilisation la plus prospère, la plus influente et la plus inspirante, à la civilisation la plus dépouillée et la plus à plaindre? J’irai même plus loin, d’un point de vue spirituel, car je pense que l’Africain est l’être le plus spirituel qu’il soit, le fait d’avoir violé le respect de certains totems, le fait d’avoir rompu certaines alliances ancestrales, est l’une des raisons du déclin et de la décrépitude culturelle, économique et politique de l’Africain. Nous devons absolument nous réconcilier avec nos préceptes originels, ceux-là même qui avaient jadis fait de nous une civilisation respectée de tous, pour nous sortir de notre condition qui est réellement à plaindre.
Que pensez-vous de la communauté africaine en Europe ?
J’en suis de plus en plus fière. Les Africains de la diaspora se lèvent de plus en plus et vont au secours de l’Afrique. Ils sont de plus en plus conscients de la gravité de la situation de leur continent et portent un regard des plus optimistes quant à l’avenir de ce dernier. Ils comprennent peu à peu, mais sûrement, que l’union fera la force et qu’ensemble nous pourrons relever l’Afrique. Pendant longtemps, les Africains de la diaspora européenne qui ont voulu se lever et lutter ensemble ont été traités injustement de communautaristes. Et ceux qui se sont sentis coupables se sont découragés. Mais il existe un nouvel Africain et une nouvelle Africaine de la diaspora, et ni l’un ni l’autre n’a peur de se réunir pour discuter de l’avenir de leur continent.
Quels conseils pouvez-vous donner à la jeunesse africaine ?
De s’unir d’abord. L’unité est la clé et la base de tout. N’oublions pas que ceux qui ont pillé l’Afrique ont efficacement utilisé l’arme du diviser pour mieux régner. Aujourd’hui cette arme ne doit plus avoir d’effet sur nous. Je leur conseille de ne pas considérer les frontières géographiques qui nous ont été imposées lors de la conférence de Berlin et de s’unir toujours comme un seul peuple. Ensuite, s’informer au maximum sur le passé de l’Afrique mais aussi sur son présent, tout en gardant un esprit critique sur toutes les informations qui circulent au sujet de leur continent. Car il n’y a absolument aucun doute, c’est la jeunesse africaine qui relèvera l’Afrique de demain. Mais ce sera une jeunesse unie, consciente et perspicace. Et j’ose croire que parmi elle, certains verront de leurs yeux la renaissance et l’essor de ce beau continent.
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