Dans le regard de Joschka Philipps

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Regards d’Afrique(RDA) : Bonjour Monsieur Philipps. Je vous remercie pour le temps que vous nous consacrez entre deux colloques.

Avant toute chose je vous demanderai de vous présenter à nos lecteurs de RDA

 Joschka Philipps[JP1] : Je vous remercie pour l’invitation. Je suis donc Joschka Philipps, post-doctorant à l’université de Bale au Centre d’Etudes Africaines. En ce moment je fais une recherche sur les théories du complot, les rumeurs en Guinée-Conakry. Auparavant j’ai travaillé sur les mouvements sociaux et les émeutes urbaines en Guinée-Conakry et à Kampala, en Ouganda. A Conakry, j’ai mené une étude ethnographique dans les quartiers défavorisés de l’axe Hamdallaye-Bambéto-Cosa, ce que les jeunes urbains appellent le milieu de « ghetto ». J’y suis resté pendant près de 6 mois en vue de comprendre les différentes perspectives des uns et des autres. J’ai beaucoup appris de cette expérience.

 RDA : Cette immersion n’a pas été trop difficile pour vous? Avez-vous facilement collecté les informations qui vous intéressaient ?

 J.P : Oui assez facilement en fait. J’avais la chance d’être accompagné par un ami qui est rappeur et me servait de guide, qui connaissait le milieu et qui avait leur respect. Le respect tel que défini dans le soi-disant ghetto. Et vu que j’étais ami à quelqu’un qui était respecté j’ai automatiquement gagné le respect des autres.

 RDA : Revenons sur la question des mouvements sociaux et des contestations urbaines dont vous parlez dans votre ouvrage. Nous remarquons que dans le monde, de plus en plus de contestations voient le jour. N’ayons pas peur des mots, des révolutions sont menées notamment en Afrique avec le printemps arabe ou récemment au Burkina Faso avec la chute de Blaise Compaoré.

Cependant, de façon générale, en Afrique subsaharienne, il y a une difficulté pour organiser la protestation qui est très souvent le fait de l’armée. On a l’impression d’avoir affaire à des populations résignées ou aveuglées par un fanatisme politique qui ne suivent pas les idées mais des dirigeants.

Ma question est celle-là : pensez-vous qu’un jour on assistera à la naissance d’une société civile forte et mature en Afrique subsaharienne à l’instar de pays comme le Sénégal ou le Niger et dans une certaine mesure le Ghana.

 JP : La question du continent africain est toujours trop générale. Dans certains pays comme le Sénégal comme tu l’as souligné avec le collectif « Y’en a marre » la contestation s’est bien organisée sans se laisser entrainer dans des considérations d’ordre politique. Je connais certains activistes de « Balai citoyen » au Burkina Faso qui ont bien mené la contestation pour finalement obtenir gain de cause . Je crois donc que cela est tout à fait possible grâce notamment aux réseaux sociaux et aux réseaux d’information qui permettent l’échange à travers le continent,  qui permettent de s’inspirer globalement des autres en vue de mieux organiser les mouvements de protestation.

 En même temps, il est clair que dans ces mouvements on a presque toujours un large pourcentage des jeunes qui n’ont pas de boulot, qui manquent de repères, et qui, même quand il y a des améliorations dans le pays, resteront toujours à la marge. Leur rage est au centre de la contestation politique aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, et que ça soit pour les causes des syndicats ou des partis politiques. Les politiciens peuvent acheter leur soutien, mais cela ne veut pas dire que le combat n’est pas authentique. Il y a une influence dans les deux sens, des politiciens sur la jeunesse et vice versa. Mais je tiens à le dire il ne faut pas automatiquement penser que ce combat là n’est pas forcement authentique.

Mais au final il est vrai que cela reste difficile d’avoir des contestations efficaces quand une grande partie de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

 RDA : J’ai envie de vous demander pourquoi une étude sur la Guinée Conakry. En Afrique, il y a eu de nombreux pays qui ont connu des transitions politiques importantes notamment la Cote d’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone pour ne citer que ceux-là. Une raison particulière vous a-t-elle dirigé vers la Guinée ?

 JP : C’est vraiment le hasard de la vie de chercheur. J’aborde un sujet assez contesté assez complexe. Pour mener une telle enquête il faut avoir des contacts, connaître des personnes à même de vous répondre par exemple sur des questions comme les complots, les rumeurs. Les circonstances de la tentative d’assassinat de Dadis Camara ? Qui a tiré sur lui ? Qui est derrière ? Aboubacar Sidiki »Toumba » Diakité ?. Je ne pouvais donc me permettre de commencer une telle recherche dans un pays que je ne connaissais pas.

 RDA : Le « cas Dadis Camara ». Peut-on en parler ? Il est pour certains apparu dans ses débuts comme un panafricaniste ayant le courage de dire tout haut ce que l’on pensait tout bas.  Pour d’autres on avait affaire à un fou qui n’avait pas le profil requis pour occuper la fonction présidentielle.

Quel vision avez-vous de l’homme et de son passage à la tête de la Guinée ?

 JP : Dadis Camara est un homme de multiples facettes qui a laissé des traces diverses. J’ai été assez surpris de revenir en Guinée et de voir à quel point la perspective sur Dadis Camara a changé.

Il y avait une certaine euphorie au départ, en 2008 jusqu’en mi-2009. Pour la petite anecdote, souvent sur les marchés il y avait une rupture de stock de lunettes de soleil parce que tous les jeunes voulaient des « lunettes à la Dadis » J’ai vu qu’il y avait un espoir, des attentes. Il prenait des décisions très fortes, il s’exprimait sur un ton énormément populaire qui fédérait autour de sa personne.

Malheureusement cet espoir s’est évanoui et le peuple s’est retourné contre lui lorsqu’il a senti qu’il se présenterait aux élections présidentielles. Il s’est passé par la suite ce que l’on sait. L’avenir nous situera sur ce qui s’est passé.

A mon retour en Guinée en 2015-2016 , j’étais surpris à quel point Dadis Camara est présent dans les esprits des Guinéens aujourd’hui, et présenté de façon générale comme un héros au même titre qu’un Thomas Sankara.

 RDA : Dadis aurait donc dû partir et laisser le pouvoir ?

 JP : Oui, en quelque sorte. Mais il y a aussi une partie qui se dit que c’est mieux que l’armée soit aux affaires et continue de « balayer » l’appareil étatique. Au final se pose la question du système démocratique même . Les pays africains sont généralement jugés sur l’organisation d’élections. Il y a une forte pression des Etats occidentaux en la matière. Il y a une pression faite pour épouser le système démocratique tel que défini par les pays occidentaux .Cela conduit à s’interroger sur  la légitimité de ce système. Il faut peut-être une adaptation. Essayer de renouveler les choses.

Je remarque par ailleurs que le ton actuel des discours  ressemble à celui du temps des indépendances. Des courants de pensées tels que le panafricanisme, ou la popularité d’un théoricien comme Frantz Fanon sont de plus en plus mis en avant parmi la jeune génération, y inclus la diaspora, et il y a des nouveaux liens, par exemple, entre les mouvements en Afrique du Sud et les Black Lives Matter aux Etats-Unis. Beaucoup se passe dans les espaces virtuels de l’Internet. Le contenu peut sembler comme un retour en arrière, mais on pourrait voir tout ça comme une ouverture vers d’autres réflexions.

 RDA : Docteur Joschka , quel est votre diagnostic de la situation actuelle et quelles sont les perspectives futures de la situation guinéenne

 JP : Je vous répondrai que rien n’est sûr. Tout peut basculer d’un côté comme de l’autre. La situation peut s’améliorer au vu du potentiel du pays mais elle peut tout aussi bien se dégrader.

De l’extérieur on pourrait dire que la Guinée est relativement stable mais de l’intérieur les données restent complexes. La confiance en l’Etat est encore à un stade minimal au sein de la population qui attend vraisemblablement d’être convaincue.

Pour ce qui est de la situation économique elle n’est pas très reluisante notamment à cause  de l’épidémie Ebola qui a clairement retardé la relance économique. Néanmoins des efforts considérables ont été faits pour améliorer la fourniture en électricité, surtout dans la capitale. Ce qui est à saluer lorsque l’on sait que la situation était catastrophique.

 RDA : Nous arrivons à la fin de l’interview. Un mot de fin

 JP : Je vous remercie pour l’interview. Je reste en contact avec vous

interview réalisée par Eric G.

 

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