2015, comme le spectre de la guerre qui planait sur la Côte d’Ivoire. Les courses étaient faites, les provisions alimentaires aussi. Les ivoiriens attendaient les élections avec beaucoup d’appréhensions et de précautions. Et, malgré le retour de la BAD, l’assainissement du climat des affaires, des voyants économiques au vert, les investisseurs ne pouvaient s’empêcher de les imiter. Normal ! Personne n’avait oublié les conséquences du cafouillage électoral en 2010.
Opposant 9 candidats prestigieux au tenant actuel du titre, cette élection avait tout pour déchaîner les passions. Un candidat issu du FPI, parti battu en 2010 et prêt pour une revanche. Deux poids lourds du PDCI, dont l’un n’avait rien à envier à la carrière prestigieuse d’économiste d’Alassane Ouattara. Un éminent fonctionnaire dont le nom était populaire dans le monde de la diplomatie africaine. Et, un brillant professeur d’économie et ancien dauphin de la Côte d’Ivoire de 2000 à 2010.
De grandes personnalités, de grandes carrières, tous réclamant un changement et unis autour d’une coalition pour déchoir le président actuel. Ce dernier avait de quoi frémir, mais, que nenni. Sa campagne semblait ne pas avoir la même énergie que celle de 2010. Et pour cause ! L’on aurait dit que la fameuse coalition nationale pour le changement avait tout fait pour perdre.
Retour sur une période électorale trouvée plus ou moins terne par la fameuse communauté internationale.
« Au viol ! La constitution est bafouée ! »
Au sein du PDCI-RDA, la candidature de Alassane Ouattara ne semblait pas poser problème jusqu’à l’appel de Daoukro. Des frondeurs dont Charles Konan Banny et Kouadio Konan Bertin s’offusquent. Hier alliés de Ouattara, aujourd’hui, ils ouvrent les hostilités. Comment un parti comme le PDCI, ayant tenu le pouvoir pendant 39 ans peut-il ne pas présenter de poulains à l’élection présidentielle ?
Les langues se délient. « Alassane n’a pas le droit de se représenter selon la constitution. Il n’est pas ivoirien » dit l’un. « Je finis par me demander si ADO a vraiment gagné les élections de 2010 » se questionne l’autre.
Mais comment défendre ces arguments quand on sait l’acharnement avec lequel ils les ont contredits lors de la campagne 2010. En politique, le meilleur moyen de perdre sa crédibilité est de se dédire.
La politique, une histoire de personnes et non de projets
« Nous votons Gbagbo à la tête du FPI » déclarent de fortes personnalités du FPI, plus grand parti de l’opposition. Une étrange décision quand on sait que ce dernier est enfermé à la Haye. Affi s’y oppose. Que fait-on du fameux « si je tombe, enjambez mon corps et continuez le combat » que déclarait Gbagbo lors d’un meeting dans les années 2000 ?
Ayant déjà subi un coup dur en Avril 2011, le FPI va lui-même se tirer une balle dans le pied. Un recours à la justice pour régler des problèmes internes était ce qu’il y avait de mieux pour le parti. Bien évidemment !
Plutôt que de jouer son rôle de parti de l’opposition, le FPI, pendant tout le mandat d’Alassane Ouattara va s’adonner à une bataille entre Affi N’Guessan et le fantôme de Laurent Gbagbo pour la tête du parti.
Comment attirer des partisans lors des élections présidentielles, en ayant été absent du débat politique pendant quatre ans ? Comment convaincre les sceptiques et partisans du pouvoir en place s’il n’y a en face, aucun parti pour démontrer les dysfonctionnements du régime en place ?
« Faisons pareil que le RHDP en 2010»
Un adversaire puissant donc une brillante idée : s’unir autour d’une coalition. L’union fait la force…enfin pas tant que ça !
A quoi cela aurait servi de présenter un candidat unique ? Le RHDP en a présenté plusieurs et a au final gagné les élections en 2010. Il y a quand même une toute petite différence. En 2010, Ouattara et Bédié pouvaient compter respectivement sur un RDR et un PDCI forts et unis. Comment sont-ils parvenus à faire une analogie quand on sait que le CNC comptait un FPI divisé, un LIDER faible, et quelques frondeurs du PDCI. Se donner une petite chance de gagner les élections aurait été de proposer une candidature unique.
« Il faut sauver le soldat Gbagbo »
Absent de la course au pouvoir et même du pays, jamais un nom, après celui de Houphouët n’avait été autant utilisé pendant une campagne électorale. La libération de Gbagbo était la promesse phare de campagne d’un grand nombre de candidats de la coalition. Et même la seule !
Se rappelle-t-on de la volonté de Banny de vouloir défendre ses projets de campagne… quand il deviendra président ? Même si en Afrique, nous avons pour habitude de voter des personnes et non des projets, il faut quand même expliquer ses ambitions et les argumenter.
Se rappelle-t-on de la très bonne prestation de Affi face aux médias ? Un candidat sérieux qui n’a, cependant, pas eu la présence d’esprit de modifier le programme électoral présenter par le FPI en 2010. Questionnement sur le terme « refondation »qui a été réutilisé, quand on sait que, Alassane, pourtant favori, a pris la peine de changer « l’homme de la solution » de 2010 par « Avec ADO » en 2015.
« Je t’aime…moi non plus »
Y avait-il vraiment coalition ? Trois désistements : Essy Amara, suivi de Mamadou Coulibaly, puis de Charles Konan Banny. La chose qui attire notre attention est que tous appelait à une abstention alors que Konan Kouadio Bertin était encore en lice. Un coup dur pour ce dernier quand on se rappelle que Charles Konan Banny disait le considérer comme son petit frère.
La coalition n’était pas prête pour cette élection. Du moins, elle ne s’y est pas vraiment préparée. Il a fallu presque attendre l’ouverture de la campagne pour qu’elle décide si oui ou non elle présenterait une candidature unique. Aussi, le problème en Côte d’Ivoire, est que l’on ne voit pas l’importance d’un chargé de communication, surtout pendant une campagne électorale. L’image qu’on projette compte, même les affiches de campagne des candidats affichaient d’entrée le gagnant des élections.
« L’abstention, réelle et seule adversaire de ADO »
L’inquiétude du Président ADO et de son dauphin ne se situait pas au niveau des jacasseries de la CNC plutôt sur l’abstention. Mais pourquoi cette année, l’abstention était-elle si préoccupante ? Les jeux étaient pourtant déjà faits !
Peut-on proposer une hypothèse ?
Une forte abstention peut traduire le fait que ceux qui ne votent pas, sont confiants quant à l’issue des élections.
Elle peut aussi traduire une sanction que le peuple fait au gouvernement n’ayant pas de meilleur candidat à voter.
Quelle est la différence entre deux élections présidentielles ? L’enjeu.
L’enjeu des élections de 2010 étaient de sortir la Côte d’Ivoire de la crise qu’elle vivait depuis 2002. L’enjeu de cette année était de confirmer la légitimité de Ouattara face aux ivoiriens qui, jusqu’à présent, restent convaincus que Gbagbo est celui qui a gagné les élections. N’oublions pas dans quel bain de sang et bicéphalisme se sont terminées les élections de 2010.
Prenons deux cas de figures :
Imaginons que ADO gagne les élections à 80% et que, dans le premier cas, le taux de participation est de 80% et de 30% dans le deuxième cas. Quelle interprétation donnerons-nous à ces chiffres et dans ces différents cas ?
Un fort taux de participation permet d’apprécier les efforts de réconciliation mais aussi et surtout, de convaincre, les plus irréductibles « Gbagboïstes » que c’est vraiment Ouattara le gagnant des élections de 2010.
Mais, cela reste une hypothèse. Alors au final, 0% de sang versé lors de ces élections, 83% le score de Ouattara et 55% à peu près le taux de participation, quelle interprétation donnons-nous à ces chiffres ?
Yves Bada
Très interessant. j’aime bien l’analyse
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